HISTORIQUE
LES MALGRÉ-NOUS, LES DÉPORTÉS MILITAIRES OU INCORPORÉS DE FORCE
La dénomination Malgré-Nous est habituellement utilisée pour désigner les français incorporés de force entre 1942 et 1945 mais cette dénomination est plus ancienne, elle désignait à l’origine les mosellans francophones qui ont dû combattre dans l’armée du Reich durant la première guerre mondiale. À l’issue du second conflit mondial, c’est l’expression déporté militaire qui était utilisée. Cette formule correspondait bien à la réalité. Les cartes de rapatriés portaient, par exemple, la mention « Déporté dans la Wehrmacht ».
Incorporés de force est la qualification juridique du drame vécu par les jeunes Alsaciens et Mosellans nés entre 1908 et 1927, enrôlés dans l’armée allemande entre 1942 et 1945, suite aux décrets du Gauleiter Robert Wagner du 25 août 1942 pour l’Alsace et du Gauleiter Joseph Bürckel du 19 août pour la Moselle.
Environ 65 000 Bas-Rhinois, 40 000 Haut-Rhinois et 30 000 Mosellans furent incorporés.
L’Alsace et la Moselle ont été annexées de fait, même si la convention d’armistice signée le 22 juin 1940 par les généraux Keitel pour l’Allemagne et Huntziger pour la France indique que le vainqueur s’engage à respecter la souveraineté nationale française et l’intégrité du territoire de la France et si aucun traité international n’a ratifié ce coup de force du régime nazi. L’Alsace et la Moselle sont demeurées françaises en droit et les habitants, français. Ils ont pourtant été forcés de renier leur nationalité française tout en la conservant au plan juridique.
Un crime de guerre a été commis à leur encontre. Le tribunal de Nuremberg en a ainsi décidé en 1945. Faire porter l’uniforme du vainqueur à un peuple annexé et l’envoyer sur le front est contraire aux lois de la guerre, à la convention de La Haye du 9 juillet 1899.
Jugé, le Gauleiter Robert Wagner a été reconnu coupable d’avoir forcé des Français à prendre les armes contre leur patrie et de les avoir illégalement incorporés dans une armée ennemie. Condamné, Robert Wagner fut fusillé le 14 août 1946 au fort Ney à Strasbourg.
Le 9 août 1942, une conférence eut lieu au quartier général d’Hitler, près de Winniza en Ukraine. Elle a réuni autour du Führer, Keitel, Bormann, Himmler, Ribbentrop, Lammers, Stuckart, ainsi que les trois Gauleiter, Wagner (Gauleiter d’Alsace), Bürckel (Gauleiter de Lorraine) et Simon, chef du gouvernement civil du Luxembourg.
Cette réunion au sommet prouve l’importance de l’affaire. Il semble que Robert Wagner ait souligné combien il était important pour les trois provinces de participer au combat dans le cadre de la germanisation de l’Alsace-Moselle afin de donner à leurs habitants le sentiment de faire partie davantage encore du grand Reich. Il a cependant maintenu son opposition quant à l’octroi non discriminatoire de la nationalité allemande aux combattants.
Il dut céder et pour obliger les jeunes alsaciens et mosellans à effectuer leur service militaire, le 23 août 1942 parut dans le Journal officiel du Reich un texte stipulant que tous les Alsaciens, Lorrains et Luxembourgeois ne deviendraient pas en bloc citoyens allemands, mais seulement les appelés et ceux qui seraient reconnus « comme Allemands éprouvés » ainsi que leur épouse et leurs enfants mineurs. Il fallait que les habitants de ces territoires aient au moins deux grands-parents nés en Alsace-Lorraine, au Luxembourg ou en Allemagne.
2,4 % de la population alsacienne a été incorporée de force.
Seulement 0,2 % de la population s’est engagée de manière volontaire soit 2 437 personnes. Les raisons de ces engagements étaient diverses : adhésion au national-socialisme d’une part, mais aussi terres promises à l’Est, possibilité de choisir son arme et donc d’être éventuellement préservé, volonté de suivre une carrière, intention de retarder un départ vers le front ou encore suite à des menaces, du chantage, à une situation familiale difficile etc.
De lourdes sanctions étaient infligées aux réfractaires à l’incorporation de force et contre leurs proches dans le cadre de la loi de responsabilité collective (Sippenhaft) du 1er octobre 1943, rétroactive à la date de 25 août 1942 :
– interdiction de séjour pour les réfractaires à l’incorporation de force, au RAD – le Reichsarbeitsdienst (Service du travail du Reich),
– condamnation à mort ou internement au camp de Schirmeck puis incorporation dans les unités spéciales et pour les réfractaires et déserteurs,
– transplantation des intéressés et de leur famille sur le territoire du Reich,
– spoliation des biens des familles.
– Pour non dénonciation : la sanction était la prison.
Les incorporés de force ont combattu au sein de la Wehrmacht et de la Waffen SS. 80 à 90 % d’entre eux furent envoyés se battre sur le front de l’Est contre l’URSS, d’autres en Albanie, en Scandinavie, en Yougoslavie, en Italie ainsi qu’en Normandie et dans le sud de la France.
Au total, 40 à 50 000 incorporés de force ne sont jamais rentrés.
Mais rappelons également que même avant que ne soit instaurée l’incorporation de force, la jeunesse de nos régions était fortement incitée, voire contrainte, de rejoindre des organisations paramilitaires. Entre 10 et 14 ans, elle devait adhérer au Jungvolk (la jeunesse du peuple). Entre 14 et 18 ans, il fallait adhérer aux Hitlerjugend pour pouvoir passer le BAC. À partir de 18 ans, il fallait logiquement entrer au NSDAP, le parti national socialiste.
En octobre 1941, le RAD – Reichsarbeitsdienst est instauré. Il est différent du STO (le service du travail obligatoire) puisque qu’à côté du travail, il y a une formation paramilitaire. Les femmes furent également astreintes au Reichsarbeitsdienst si elles n’étaient pas mariées, enceintes ou en apprentissage.
Garçons et filles sont tenus de prêter serment de fidélité au Führer, ce qui est également contraire aux conventions de La Haye.
Les filles peuvent aussi être appelées au KHD – Kriegshilfsdienst (Service auxiliaire de guerre) pour travailler dans les usines d’armement, dans la production de produits chimiques etc.
À partir de l’été 1943, des jeunes de 15 ans révolus sont engagés dans les Luftwaffenhelfer (la DCA – défense contre les avions) dans le sud de l’Allemagne, en Tchécoslovaquie et en Yougoslavie.
Malgré tous les risques encourus, certains incorporés de force désertèrent cependant pour échapper aux nazis, rejoindre la résistance ou les alliés. Leur nombre n’est pas connu. La SNIFAM (Solidarité Normande aux Incorporés de Force d’Alsace-Moselle) estime le nombre de déserteurs, aidés par la population locale, entre 150 et 200 Alsaciens-Mosellans sur le front Normand.
Beaucoup des incorporés de force, qui rentrèrent pour la plupart entre 1945 et 1955, portèrent les stigmates physiques et psychiques des combats, de leur internement en Russie et dans des camps américains. Ils tentèrent d’oublier cette ignominie de l’incorporation de force, les souffrances vécues et durent vivre bien souvent avec la honte d’avoir dû servir l’ennemi.
Discours du maire pour la commémoration des Incorporés de Force
Je veux tout d’abord saluer les personnes ici présentes qui nous honorent de leur présence à l’occasion de cette cérémonie en mémoire de nos incorporés de force.
Je salue madame la sénatrice, messieurs les maires et représentants des communes voisines, le représentant de la gendarmerie, mesdames et messieurs les représentants des associations mémorielles et patriotiques ainsi que leurs porte-drapeaux, nos invités, les maires et adjoints honoraires, les représentants des associations locales, les membres du conseil municipal et le personnel communal ainsi que vous tous qui avez voulu marquer de votre présence ce moment qui va nous permettre de nous rappeler une période douloureuse de l’histoire de France, de l’histoire de l’Alsace et de notre commune, la déportation militaire appelée plus communément incorporation de force de nos jeunes concitoyens de 1942 à 1945 et qui s’est poursuivie, pour certains, par un internement en URSS.
Dans quelques instants, l’histoire des incorporés de force va vous être rappelée brièvement et le témoignage d’un incorporé de force vous sera lu.
À présent, permettez-moi d’indiquer dans quel cadre s’inscrit notre démarche.
Il y a quelques années, le nom des incorporés de force a été inscrit sur notre monument aux morts. Le 15 mai 2022, nous avons souhaité rendre hommage aux gars de la 2e DB qui ont libéré, par deux fois, notre village, 13 au sacrifice de leur vie et nous avons érigé une borne de la voie de la 2e DB / borne du serment de Koufra que vous pouvez voir sur ma gauche avec les 2 panneaux d’information.
C’est dans le cadre du devoir de mémoire et de la mise en place d’un chemin de mémoire qui part de notre monument aux Morts, au centre du village, en passant par cette allée que nous allons inaugurer puis la borne de la 2e DB pour enfin arriver à notre cimetière que nous avons décidé d’honorer nos incorporés de force.
Le devoir de mémoire est la responsabilité collective de se souvenir des événements du passé, même les plus douloureux, afin d’en tirer des leçons pour l’avenir. Il est essentiel de se souvenir de l’histoire des incorporés de force, de reconnaître leur souffrance et de s’engager à préserver leur mémoire pour les générations futures.
Il faut transmettre l’histoire des incorporés de force pour éviter que de tels drames ne se reproduisent.
Baptiser cette allée, allée des incorporés de force et dévoiler ce panneau d’information, c’est certes se rappeler de l’incorporation de force, mais c’est aussi rendre justice à ceux de notre village qui ont souffert de cette pratique ignominieuse, à ceux qui sont morts ou qui sont rentrés. C’est également sensibiliser le public à l’histoire souvent méconnue des incorporés de force et lutter contre l’oubli.
Dans quelques instants, nous allons dévoiler les plaques qui donneront un nom à cette allée et nous découvrirons ce panneau d’information qui permettra avec notre site Internet de rappeler aux villageois et aux passants ce qu’ont vécu nos anciens, ces incorporés de force, ces hommes et ces femmes arrachés à leur famille et à leur patrie pour être utilisés à des fins qui n’étaient pas les leurs. Ils méritent notre respect et notre mémoire éternelle.
Leur histoire comme celle des combattants de la 2e DB et de nos victimes civiles, nous rappelle la fragilité de la paix et la nécessité de préserver les valeurs d’humanité et de respect mutuel.
Je profite de cet instant pour remercier Pascal Rumberger, initiateur de ce projet, les élus qui sont impliqués dans la réalisation de cet évènement et également le personnel communal qui a œuvé et œuvre pour le bon déroulement de cette cérémonie. Merci à Emma Meyer qui va nous lire le témoignage d’un incorporé de force et à Bruno Rivet qui a aidé Emma. Merci à la chorale pour sa présence. Je remercie également le comité du Grand Ried du Souvenir Français qui a financé le panneau que nous allons découvrir et vous tous ici présents pour honorer la mémoire de nos incorporés de force.
Vive la République, vive la France, vive Friesenheim.
Le témoignage que je vais vous présenter est celui d’un incorporé de force qui a eu la chance d’échapper au front de l’Est, qui n’a pas connu un internement trop sévère et qui a été parmi les premiers rapatriés.
Pierre OBRECHT
est né le 12 avril 1924 à Strasbourg.
Dès 1940, à l’âge de 16 ans, Pierre OBRECHT refuse de rejoindre les Jeunesses Hitlériennes, malgré la pression du monde scolaire. Le RAD -Reicharbeitdienst étant introduit en Alsace en 1941, jeune de la classe 24, il doit se présenter, le 27 février 1942, au conseil de révision. Il obtient un sursis jusqu’à la fin de ses études. Le 22 octobre 1942, il est incorporé au RAD et son groupe est dirigé vers Dieterstorf en Allemagne.
L’activité du camp se partage entre le travail manuel, l’instruction militaire, le sport et les cours d’éducation politique.
En février 1943, il est incorporé dans la Wehrmacht. Il est d’abord affecté à la caserne de Stuttgart pour la période d’instruction. Puis il rejoint son unité d’affectation en Eure-et-Loir. Il y règne une discipline de fer. Il gagne ensuite le dépôt d’armes à Nogent-le-Roi pour assurer la garde de ce dépôt et réceptionner les nouveaux arrivages provenant du Reich. On retrouve enfin Pierre OBRECHT en Bretagne à Fougères transféré avec sa division, la 155e Panzerdivision. C’est surtout une division motorisée, elle ne possédait que 16 Panzer III et IV.
Il assure la liaison entre la gare et le dépôt de munitions stockées sous le hangar d’une ancienne manufacture de chaussures désaffectée.
Pierre OBRECHT est le plus jeune de son groupe, il n’a que 19 ans, porte l’uniforme de l’occupant, de la Wehrmacht, ainsi que le fusil, obligatoire en raison des attentats fréquents contre les soldats allemands.
Sa mission qui consiste à assurer la liaison entre l’état-major et la S.N.C.F. lui fait grimper les rues, arpenter une place et redescendre vers la gare. Il réussit ainsi à nouer des relations d’amitié avec des bouchers de la ville et peut donc améliorer son ordinaire, dans une période soumise au rationnement. Il bénéficie notamment de l’aumône d’une modeste veuve, à proximité du dépôt, qui lui accorde des tickets de pain et de viande. Il lui confie du linge à laver de la part de son chef, le sergent.
Pierre OBRECHT bénéficie d’une permission de convalescence, fin 1943. Il éprouve une énorme joie à l’idée de monter dans le train en gare de Fougères et retrouve les siens du 25 novembre au 10 décembre. Au retour, il est chargé de colis. Il ne peut alors se dérober aux regards qui le dévisagent avec mépris : « Encore un de ces boches qui profite de la misère des Français ! ».
Au début 1944, il est désigné comme interprète pour une délégation. Le lundi 20 mars 1944, arrive un wagon démuni de son plombage. Intrigué par cette anomalie, Pierre OBRECHT découvre des pistolets d’origine polonaise. Grande surprise, le lendemain : il manque 40 pistolets, sans doute dérobés par des maquisards. La sanction tombe immédiatement. Interrogé par le commandant, il est prié de quitter Fougères, son origine alsacienne le desservant.
C’est un véritable tour de France que réalise alors Pierre OBRECHT. Il est encore retenu comme interprète pour accompagner le cuisinier et le comptable afin de récupérer des denrées alimentaires stockées à la gare de Granville dans la Manche.
À l’hôtel, il découvre la Milice française, les auxiliaires de la Gestapo allemande. Il est saisi d’effroi : « au restaurant, chacun s’immobilise brièvement, les membres de la milice se figent au garde-à-vous en claquant des talons, le visage crispé, le bras tendu pour un Heil Hitler énergique et saccadé. Vêtus d’un uniforme noir, ils sont de fiers émules des SS », écrit-il. Redoutés, haïs, les miliciens lui procurent une vision de terreur, contrastant avec l’image qu’il garde de Fougères. Il passe quelques mois encore dans le Gard, au sein de la 5e compagnie où il est muté et arrive la nouvelle du débarquement en Normandie, véritable coup de tonnerre. Les attentats se multiplient, les maquisards sont en attente de parachutages d’armes par les Alliés. Le rythme des semaines et des jours est haletant.
C’est le départ de Domazan afin de rejoindre le front de Normandie. La chaleur est épouvantable, le convoi est immobilisé près de Libourne, suite à l’attaque par un avion de chasse américain. Tout le monde saute du train et se précipite dans les prés voisins. L’avion ne revient plus, le train peut repartir. Tout le long du parcours, le même désastre : voies ferrées coupées, trains déraillés et saccagés, gares démolies par les bombardements alliés. Jamais Pierre OBRECHT n’a vu une telle désolation : les Alliés épaulés par les maquisards retardent les convois militaires allemands et les immobilisent dans leur marche.
À Tours, la nuit du 4 août, chacun doit enfourcher une bicyclette pour affronter l’ennemi, avec un paquetage de 15 kilos sur le dos composé de gamelle, gourde, fusil, baïonnette et grenades. À partir du 6 août, chacun est obligé de marcher quatre jours consécutifs, 20 à 30 kms par jour, sous un soleil de plomb. Arrivés au Mans, les soldats croisent chars, véhicules camouflés, infanterie et SS : l’image d’une déroute qui ne dit pas encore son nom. La nuit, chacun s’abrite dans un fossé, la fatigue est plus forte que la veille que chacun doit assurer à tour de rôle. Pierre OBRECHT doit combattre pour une cause qui n’est pas la sienne. Il lui arrive de songer à déserter, mais les risques sont énormes.
Le 10 août, pris en tenaille par les chars américains, il connaît le baptême du feu. Son chef lui demande de venir à son secours, car Pierre OBRECHT est muni d’une mitrailleuse et dispose de deux cassettes de munitions, il l’interpelle. Pierre OBRECHT ne répond pas, le chef est tué d’une balle dans la tête.
Dans la Sarthe, il recherche sa compagnie sans doute dispersée par l’étau de l’ennemi, l’incorporé est repéré par des hommes au calot rouge, des spahis (combattants et cavaliers) de la 2e D.B. française, débarquée en France du 1er au 6 août. Il se retrouve avec une mitraillette qui le braque, prêt à déclencher une rafale. Il a le temps de dire qu’il est Français et peut ainsi échapper à la mort, malgré une blessure du talon droit due à une balle perdue. Il est ramené près du village, les mains appuyées sur la nuque et le canon d’une mitraillette dans le dos. Blessé, il est escorté au village, prisonnier de la 2e D.B. française. Est-il perçu comme un traître, un engagé volontaire ? Le traitement subi et le slogan entendu un peu plus tard « Laissons les tous partir, ils essaieront de s’évader… nous les abattrons comme des lapins ». Cette phrase inoubliable qu’il pouvait comprendre en français ressemblait étrangement à celle des Waffen-SS et le rendait perplexe : quelqu’un a-t-il le monopole de la barbarie ?
Le 12 août, Pierre OBRECHT, aux mains des Américains, est conduit en G.M.C. avec plusieurs centaines de prisonniers allemands au camp d’Isigny-sur-Mer dans le Calvados. Que vont-ils devenir ? C’est la question lancinante. En attendant, leur uniforme est échangé contre une tenue américaine toute neuve, identique à celle des G.I. : pantalon de treillis, veston doublé, avec l’insigne PW-Prisonnier de guerre, deux majuscules de peinture à l’huile blanche, tracées au dos du veston et sur les genoux du pantalon. Le 16 août, les prisonniers rejoignent un commando qui est rattaché à une compagnie du génie militaire américain, avec la mission de rétablir des lignes de chemin de fer stratégiques et de reconstruire les ponts détruits.
Ironie de l’Histoire : Pierre OBRECHT revient à Fougères après l’avoir connue et arpentée au sein de l’armée allemande. Cette fois, prisonnier des Américains, il appartient à un contingent important de 50 Alsaciens, 60 Italiens, autant de Russes et quelques Allemands de l’armée de l’Air.
À proximité de la ville, leur première tâche est de construire l’enceinte de leur prison, à l’aide de poteaux et de barbelés. À 20 ans, Pierre OBRECHT devient prisonnier, privé de liberté, épié par des sentinelles. La nourriture n’a rien à voir avec le ragoût des cuisines de campagne allemandes. Le matin, est servie la bouillie de flocons d’avoine sucrée, à base de lait avec jambon et œuf. Le midi et le soir : des mets variés et bien préparés. Le tout est accompagné d’une boisson d’eau de rivière javellisée et parsemée de poudre de citronnade et de café. La corvée consiste à déblayer et réparer la gare bombardée à deux reprises en juin 1944. Le travail est éprouvant et la blessure au pied est toujours là.
Les allers et retours vers les lieux de travail s’effectuent en rangs, par nationalités, à la cadence d’un chant du pays respectif, en l’occurrence « La Madelon » pour les Alsaciens. C’est l’expression d’une grande solidarité entre les compatriotes alsaciens, d’une grande diversité d’âges et de milieux. Les plus anciens ont 32 ans, les plus jeunes 17 ou 18 ans. Les étudiants cohabitent avec des ouvriers, des artisans, des employés et des petits patrons.
Pierre OBRECHT doit travailler sur plusieurs chantiers dans les Yvelines, en Seine-et-Oise, dans l’Aisne puis en Eure-et-Loir pour reconstruire un viaduc ferroviaire à plusieurs arches.
Le 14 octobre, pour une raison inconnue, les Alsaciens sont invités à partir. Finis les grands travaux de remise en état après les destructions de la guerre. Commencent des travaux agricoles comme la récolte des betteraves dans l’Oise, au sein d’une petite équipe.
La démobilisation intervient en février 1945 à Senlis dans l’Oise. Les Alsaciens sont envoyés au Centre parisien d’Entraide, dotés de sous-vêtements et d’une somme de 1 000 francs. Ils séjournent ensuite au Centre d’Accueil de Nancy où l’hébergement est lamentable et la nourriture médiocre.
Le rapatriement s’avère difficile et, le 7 mars 1945, le rescapé de la guerre finit par retrouver ses parents avec embrassades et larmes de joie en Alsace.
La réadaptation est longue, les regards fuyants, voire hostiles ont souvent accompagné l’incorporé vêtu de l’uniforme allemand. Le statut de déporté militaire est refusé de la part des associations de déportés civils. Il faudra se contenter de l’appellation « Incorporés de force dans la Wehrmacht ou les SS ».
Merci de votre attention.